Minoritaire

Je suis trop heureux d’avoir en ce moment un gouvernement minoritaire ici au Canada. Un gouvernement minoritaire est moins stable et doit faire attention pour toujours garder un certain appuis de la part des autres partis, de crainte d’avoir à retourner en élection. Ça met le gouvernement dans une position beaucoup plus délicate sur les sujets controversés.

La visite du président Bush ici il y a quelques semaines aura permis à notre premier ministre de régler le « problème » des exportations de boeuf. (Le problème étant que depuis la découverte d’un cas de vache folle en Alberta, la frontière des États-Unis est fermé au boeuf canadien, et ça fait très mal à toute l’industrie ici.) C’est que Bush a promis que ceci serait réglé rapidement.

Mais est-il croyable que le président des États-Unis « règle » un problème sans rien demander en retour ? J’ai plutôt l’impression qu’il s’agirait d’un échange : le « problème » du boeuf est réglé et notre premier ministre peut ensuite faire « tout son possible » pour appuyer le projet de bouclier anti-missile. Ma théorie s’appuie sur deux faits : Paul Martin n’a jamais éclairci sa position sur le bouclier anti-missile autrement qu’en disant ne pas vouloir participer à « une militarisation de l’espace » et deux nouveaux cas de vache folle ont été découverts depuis la venue du président américain sans que la date de réouverture de la frontière ne soit revue. Deux cas ! Depuis quand l’administration Bush est-elle devenue si tolérante?

Revenons au bouclier anti-missile : en général la population ici est opposée au projet — un projet inutile, coûteux et qui risque de mener à une nouvelle guerre froide. La principale question qui reste non résolue dans ce débat est la suivante : « Mais avons-nous le choix ? » Ce que craignent beaucoup de gens ici, ce sont les représailles de nature économique que pourrait exercer nos voisins du sud en cas de refus. Une frontière plus imperméable causerait des dommages important à notre économie qui dépend en grande partie des échanges avec les États-Unis.

Alors qu’est-ce qui est spécial dans tout ça? Ce ne serait pas la première fois que ça arrive, non?

Paul Martin ne peut pas annoncer demain qu’il participera au projet de bouclier anti-missile. Certains regroupements de son propre parti se sont clairement prononcé contre le projet, plusieurs ministres sont contre et en plus le gouvernement est dans une situation minoritaire en chambre ce qui ne lui permettra pas de tenir très longtemps s’il contrarie les autres partis. Le premier ministre a d’ailleurs toujours refusé de répondre à la question jusqu’à maintenant, parce qu’il n’est pas dans une position où il peut dire « oui. »

Dire « oui » au projet ferait probablement tomber le gouvernement dans les conditions actuelles. Et si le gouvernement tombe, on aura droit à une nouvelle élection qui éliminera toutes les chances de Paul Martin d’être reporté au pouvoir vu que la population n’approuverait pas sa dernière décision. Une nouvelle élection portant sur ce sujet amène aussi la possibilité d’un autre gouvernement minoritaire pas plus favorable que l’ancien.

Ça se résume à ceci : si le gouvernement dit oui au projet, il se peut bien que la population lui dise « non » lors d’une élection quelque mois plus tard. Contrairement à l’habitude, le premier ministre devra avoir l’aval de la population pour pouvoir régler cette question. Pas mauvais pour une démocratie !

Alors que fait Washington dans tout ça ? Ils ne peuvent pas faire grand chose, à part montrer aux canadiens qu’ils peuvent être gentils en levant les restrictions à la frontière. Est-ce que ça va marcher? Je ne crois pas.

À mon avis, la question qu’on devrait se poser maintenant est la suivante : « Quelle seront les conséquences de chaque choix et est-ce qu’on peut vivre avec ? »


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