Vote électronique ; fiabilité ?

Aujourd’hui c’est jour d’élection dans plusieurs municipalités du Québec. Si vous êtes allé voter aujourd’hui, vous aurez peut-être remarqué que dans votre ville le vote se fait de façon électronique, ou semi-électronique. Ici à Lévis, on noirci le cercle sur un bulletin de vote, et le bulletin de vote est ensuite inséré dans une machine qui maintient un décompte. Ailleurs, on appuie simplement sur le bouton d’un candidat et la machine compte. Mais est-ce que ces machines sont vraiment fiables ? J’ai des gros doutes, et voici pourquoi.

Dans une élection traditionnelle, sur bulletin papier, il y aura toujours des dizaines de témoins en cas de manipulation douteuse des bulletins. Tout le monde présent comprend très bien comment ça fonctionne : le bulletin de vote est dans la boîte et la boîte reste scellée donc personne ne peux altérer les votes. Aussi absurde que ça peut paraître, si quelqu’un était caché dans la boîte pour trafiquer les bulletins, on le remarquerait très vite et il se retrouverait aussitôt accusée de fraude.

Avec une machine qui compte les votes, c’est le fonctionnement interne de la machine qui effectue le décompte des votes au fur et à mesure que les votes entrent. Le décompte est gardé dans une mémoire interne qui n’est pas affiché avant la fin de l’élection.

Il y a toujours des dizaines de personnes dans le bureau de vote en mesure de vérifier que tout se passe correctement. Le fonctionnement est simple : le vote est entré dans l’appareil et l’appareil tient le compte du nombre de vote pour chaque option. Tout le monde sait que personne n’est caché dans l’appareil pour trafiquer le compte des votes. Mais est-ce vraiment le cas ?

Les machines à compter les votes reposent sur un mécanisme (électronique et logiciel) qui tient à jour le nombre de vote pour chaque option. Les gens dans le bureau de vote n’ont pour la plupart pas la compétence de vérifier ce mécanisme avant le scrutin. Et ceux qui auraient les connaissances requises ne peuvent généralement pas vérifier le mécanisme par eux-mêmes : le logiciel et le matériel est vendu par une compagnie qui tient à garder le fonctionnement comme secret industriel.

Autrement dit, contrairement aux bulletins sur papier, personne en dehors de la compagnie et de ses techniciens n’est en mesure de vérifier le mécanisme par lequel le vote est enregistré. C’est là que réside le principal problème du vote électronique.

Pourtant, d’après cet article de Radio-Canada, le vote électronique semblerais sécuritaire. En voici un extrait :

[…] le président des élections à Québec, René Damphousse, affirme que des tests ont été faits et que les résultats comptabilisés par ces machines sont fiables : « En 2000, nous avons essayé ce type d’appareil. Il a été essayé ailleurs et, à chaque fois, le résultat a concordé avec ce qui avait été voté par les électeurs. »

Ce à quoi je répondrais qu’on peut facilement avoir testé une machine une journée et la voir fonctionner différemment le lendemain. Votre ordinateur est bien capable de passer à l’heure d’été automatiquement à la bonne date, alors pourquoi pas une machine à voter ?

Tester la machine démontre que ces machines sont capables de compter les votes correctement. Par contre, ça ne prouve pas du tout que la machine n’a pas été trafiquée. Elle pourrait compter les votes différemment le jour de l’élection et, tant que les résultats restent vraisemblables, personne ne pourrait s’en douter.

Même si on découvrait que la machine a été trafiquée, il risque d’être très difficile de trouver le responsable. En fait, la fraude aurait pu être commise plusieurs jours — voir des mois — auparavant, par quelqu’un ayant subtilement modifié le programme.

Le secret qui entoure le fonctionnement de ces machines rend très difficile, voir impossible, de vérifier que la machine n’a pas été trafiquée. Sérieusement, comment vérifier que le mécanisme est dans son état normal le jour de l’élection si on ne connaît même pas c’est quoi son état normal ? On doit s’en remettre entièrement aux services d’inspection de la compagnie qui fourni les machines. Et cette compagnie n’a pas nécessairement intérêt à faire de publicité quand elle trouve des problèmes. C’est sans compter que la compagnie pourrait être partisane.

Comparez la sécurité du comptage des votes électronique et du comptage des votes sur papier dans des urnes traditionnelles et vous aurez un gagnant certain : personne n’est en mesure d’assurer une sécurité avec le comptage des votes électronique.

Le vote électronique, tel qu’il fonctionne actuellement, fait que le processus démocratique, au lieu d’être supervisé par des membres de tous les partis, repose entre les mains d’une compagnie privée et de sa boîte au fonctionnement opaque.

Son seul avantage est que le résultat est connu plus rapidement… mais à quel prix ?


Toujours dans le même article de Radio-Canada :

Par ailleurs, des solutions sont prévues, en cas d’éventuelles contestations. Il est notamment possible d’imprimer un relevé de tous les votes, ou de compter tous les bulletins de papier.

Jusqu’à maintenant je n’ai parlé que du comptage des votes. Il y a une importante différence à faire entre entrer son vote de façon électronique et simplement compter les votes.

  • Quand on entre son vote directement dans une machine, la machine peut le changer sans laisser de trace de votre vote intention originale, et sans que vous le sachiez (vous ne pouvez pas vérifier que ce qui s’enregistre à l’intérieur est bien la même chose que ce que le bouton que vous appuyé et ce que vous avez vu à l’écran.)

  • Quand vous écrivez votre vote sur un bout de papier, il est écrit et ne peut être modifié. Il ne peut qu’être mal compté. Un recomptage manuel suffit pour résoudre le problème. (Encore faut-il qu’il y ait recomptage. Un recomptage en cas d’égalité serré comme à l’habitude ne suffit pas : une machine pourrait trafiquer le vote pour qu’un candidat l’emporte largement.)

L’idée d’imprimer les bulletins de vote n’est pas une mauvaise idée. Si l’électeur peut le voir, il peut s’assurer que la machine a écrit correctement son vote sur le bulletin.

Mais que ce passe-il si le bulletin imprimé ne reflète pas le souhait de l’électeur ? Ça semble absurde à première vue, mais ça c’est produit aux États-Unis lors de la dernière élection présidentielle, et, qu’il s’agisse d’une défaillance ou d’une manipulation frauduleuse, ça se produira certainement encore. Il faut que quelque chose soit prévu pour ces cas là.

Je vous laisse maintenant le soin de décider si vous faites confiance au vote électronique dans votre ville. Je vous invite à consulter ces quelques sites intéressants sur le sujet :


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