Question d’élection : Droit d’auteur
Dans la cadre de ma question d’élection hebdomadaire, posée à chaque candidat dans le compté fédéral de Lévis-Bellechasse, voici une question qui porte sur un sujet qui ne fait pas souvent les manchettes. Notez que normalement je publie la question et les réponses le mercredi après-midi, cependant un incident m’a forcé à retarder la publication à ce matin.
Question
Le projet de loi C-60 sur la réforme du droit d’auteur [PDF], si adopté
dans sa forme actuelle, rendrait illégale la copie privée quand il
est nécessaire de contourner une « mesure de protection technologique
» pour accomplir cette copie. En clair avec un exemple, ceci veux
dire qu’il deviendrait illégal de transférer une musique à partir
d’un CD « protégé » sur un autre support (cassette, baladeur MP3)
sans un l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. Que pensez
vous de cette disposition du projet de loi ? Croyez-vous que cette
modification sert bien l’intérêt public ?
Réponses
Mathieu Castonguay, pour le Parti Vert, nous répond ceci :
Le droit d’auteur doit être protégé de manière efficace de manière à permettre aux artistes de vivre de leur art. Il en va de la vitalité de notre culture mais aussi du respect des personnes qui créent, mais c’est aussi pour nous, parce que nous aimons ce qu’ils font. Il est primordial que les lois protègent le revenu que tout travailleur tire de son labeur. Notre société ne peut permettre que les artistes soient traités différemment parce que nous pouvons techniquement faire des copies. J’estime que le fait de demander la permission pour reproduire une œuvre sur support numérique est une mesure raisonnable dans la mesure où l’artiste respecte le droit du citoyen à effectuer cette. Cependant, la solution réellement efficace ne se trouve pas au niveau légal car nous constatons tous à quel point les copies illégales de disques prolifèrent déjà. La solution, à ce problème comme à bien d’autres n’est pas évidente. Cependant, le gouvernement doit favoriser plusieurs mesures différentes pour minimiser l’impact du phénomène sur les artistes.
Je n’ai pas reçu de réponse des autre candidats, qui sont Shirley Baril pour le Parti Libéral, Steven Blaney pour le Parti Conservateur, Éric Boucher pour le NPD et Réal Lapierre pour le Bloc Québécois.
Commentaire
Le droit d’auteur permet aux auteurs de tirer profit de leur œuvres en leur permettant de choisir les modalités de reproduction et de performance publique. Mais ce droit est limité dans le temps : au Canada, la loi remet l’œuvre au domaine public 50 ans après la mort de l’auteur. En permettant ainsi sa libre diffusion, on assure de perpétuer l’œuvre dans le patrimoine collectif ce qui s’avère fort utile pour l’éducation des futures générations et pour la création de nouvelles œuvres.
Le droit d’auteur assure aussi un équilibre entre l’auteur et l’utilisateur de l’œuvre. Il est par exemple permis de citer un texte, sous certaines condition, dans son propre texte sans avoir à demander la permission. L’article 80(1) de la loi canadienne permet aussi ce qu’on appelle la copie à usage privée qui permet à l’utilisateur d’une CD audio, par exemple, de copier la musique sur son ordinateur ou sur son baladeur MP3, pourvus qu’il garde cette copie pour son usage personnel.
Le projet de loi C-60 ne prévois pas enlever ce droit, il prévois cependant qu’il soit interdit de contourner une mesure de protection pour faire une copie à usage privée (à moins d’avoir l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, évidemment). Autrement dit, un CD « protégé » par une mesure technique bénéficierait d’un traitement de faveur qui donnerait le droit à l’auteur de décider si il est permis ou non de faire une copie à usage personnel.
Qu’est-ce qu’une « mesure de protection technique » ? Selon le projet de loi, c’est une technologie, un dispositif ou un composant qui restraint un acte susceptible de violer la loi sur le droit d’auteur. Évidemment, un tel système peut imposer des restrictions bien plus grandes que celles dictées par la loi. Un appareillage ne peut différencier une copie privée d’une copie pour la distribution ou d’une copie partielle servant à citer une autre œuvre. Pour faire ces actions, permises par la loi, il faut pouvoir contourner ces mesures, mais si la loi nous interdit de contourner ces mesures, autant dire que la copie privée n’est plus possible.
L’argument souvent mentionné en faveur de ces mesures de protection techniques est de protéger les artistes de la copie illégale. Hors, il est toujours possible pour celui qui veux en faire une copie illégalement de contourner et surtout d’enlever les mesures de protection avant de distribuer l’œuvre à d’autres. Ces mesures ne font que restreindre l’usage normal de ceux qui achètent légalement des œuvres, laissant aux « pirates » le soin de créer et de distribuer des copies, illégales mais sans mesures techniques donc facile à recopier.
Alors si elles sont inefficaces, pourquoi l’industrie du disque et du cinéma pousse-elle si fort pour leur adoption et pour rendre illégal leur contournement ? Un mot : le profit. Ces systèmes leur donne le contrôle sur ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait avec l’œuvre. Plus ils mettent de restrictions, plus ils obligent les gens à payer pour lire ou copier une œuvre. Je ne crois pas que cette stratégie de restriction marchera, mais en attendant, c’est les utilisateurs légaux qui risquent le plus de souffrir de ces mesures techniques de restriction, particulièrement si il devient illégal de les contourner.
Puisque les programmes du NPD, du Parti Libéral, du Parti Vert sont maintenant en ligne, je me suis permis de jeter un coup d’oeil pour voir si il y était fait mention du droit d’auteur. Seul le Parti Libéral en parle, et ce n’est que pour mentionner le projet de loi que nous discutons et qui a été proposé par le gouvernement. Cette question reste complètement en dehors de la campagne électorale apparemment.
Conclusion
Les mesures techniques de protection sont entrés dans les lois de plusieurs pays déjà. Elles permettent aux titulaires du droit d’auteur d’imposer aux utilisateurs des œuvres des restrictions plus sévères que celles normalement permises par la loi. Rendre illégal de contourner ces mesures ne change rien pour le pirate qui de toute façon distribuerait l’œuvre dans l’illégalité, mais empêche des usages de l’œuvre qui sont normalement permis par la loi.
Cette série de questions s’achèvera la semaine prochaine avec la dernière question d’élection. En attendant, bonne fin de campagne à tous !
Références
- Michael Geist : Election Answers (en anglais) - Discussion sur la réponse de Sam Bulte, candidate Libérale dans la région de Toronto.
- Online Rights Canada : Money in Politics, Conflicts for Copyright (en anglais)
- Wikipedia : Propriété Intellectuelle : Copyright
- DomainePublic.net - Site faisant la promotion du domaine public en france.
Commentaires
En France, ce sujet est d’une actualité brûlante. Le gouvernement a voulu faire passer une loi similaire en catamini à la veille de Noël, et s’est retrouvé face à une fronde parlementaire venant de tous les partis. C’est pas si fréquent chez nous, le Parlement est très faible par rapport au pouvoir exécutif.
Cette fronde s’est manifestée par le vote d’amendements amorçant la légalisation du peer-to-peer en contrepartie d’une redevance prélevée sur les abonnements internet, et reversée aux auteurs. Le gouvernement va faire en sorte que tout ça disparaisse d’ici l’adoption finale de la loi, mais au moins le débat est lancé.
Un débat qu’il ne faut pas limiter à la copie privée. Il y a des implications sur le logiciel libre : lire un DVD sous Linux devient un contournement de DRM (DRM = mesure de protection technique, pour simplifier). Une société américaine abusant de sa position dominante a d’ailleurs menacé les auteurs de VideoLan : heureusement, leurs avocats n’étaient pas au courant que cette loi n’était pas encore votée. Vous avez crû que je parlais de Microsoft… perdu ! Réponse au bas de cette page.
Il y a des implications sur la sécurité informatique, comme l’a montré la récente histoire du rootkit Sony. Voir également cette prospective d’un monde plein de DRM.
Il y a des implications sur le fonctionnement des bibliothèques : comment prête-t-on un oeuvre protégée par un DRM ? Comment l’archive-t-on de façon fiable (au cas où l’éditeur restreindrait à l’avenir les autorisations d’utilisation, ou bien au cas où le logiciel de gestion de DRM deviendrait obsolète) ? Voir http://droitauteur.levillage.org/spip/ . Les enseignants sont confrontés à des problèmes similaires pour leurs supports de cours.
La Free Software Foundation France (par le biais de http://eucd.info) a fait un travail remarquable de sensibilisation des parlementaires. J’ai suivi les débats : on n’a jamais autant parlé à l’Assemblée Nationale du logiciel libre et de l’intéropérabilité, depuis tous les bancs. Une pétition de 120 000 signatures a été organisée en moins d’un mois.
Sinon, je crois que personne ne prétend sérieusement que les DRM soient solides. C’est bien pour cela qu’il faut les protéger juridiquement. C’est un mille-feuille : la première couche est le droit d’auteur, protégée par une deuxième couche technique (les DRM) , elle-même protégée par une troisième couche juridique d’interdiction du contournement des DRM.
Les DRM sont intrinséquement fragiles puisque ça revient à crypter l’oeuvre et ensuite à donner la clé de décryptage à celui qu’on soupçonne d’en faire un mauvais usage : à savoir ce délinquant de consommateur…
Ce texte, produit par notre union des associations familiales présente très bien le problème du droit d’auteur et de la création. Un petit extrait:
Ca parle également d’économie de la Sierra Madre et de FUD. Moi qui imaginait les associations familiales comme un peu ringardes :-)